26 octobre 2012

Langue de pute pour langue de bois


J’ai été invitée récemment à la Fête du livre de Saint-Étienne. Un évènement, nous dit-on, qui rassemble des centaines d’ « auteurs ». C’est curieux, on ne dit plus guère écrivain, on dit auteur. Ecrivain, ça fait scribouillard, on entend la plume qui crisse sur le papier, c’est pénible pour l’oreille. En revanche, « auteur » est connoté plus rond, plus souple, la preuve : le mot glisse sur la langue. L’écrivain gratte laborieusement, alors que l’auteur(e) crée. L’un transpire, quand l’autre produit spontanément et appose sa marque. On en conviendra, c’est beaucoup plus chic.
Donc, en tant qu’auteur(e), on m’a donné un pack de bienvenue avec plein de documents dedans pour présenter la ville. L’un d’entre eux, « 80 actions pour dynamiser l’attractivité stéphanoise », a attiré mon attention par son titre prometteur. Magnifique exemple de jargon, me suis-je dit. Je l’ai ouvert : dedans, ô merveille, un feu d’artifice de langue de bois. Rien ne manque : compétence ; dynamique ; indicateurs ; capitaliser ; formation ; retour d’expérience ; valider ; pilotage ; action à engager ; positionnement ; stratégie d’innovation ; vision ; démarche ; partenaires ; réseau ; visibilité ; convivial ; durable. Sans oublier le roi du bal : projet. Et le tout saupoudré d’anglicismes, co-working et autres showroom. N’en jetez plus, il en pleut de partout.
Je ne suis pas venue pour rien à Saint-Etienne car, toujours dans le même opuscule, j’ai appris des mots nouveaux. Une gare se dit « pôle d’échange multimodal », un vélo se traduit par « mode de déplacement doux », un panneau indicateur devient une « signalétique urbaine », un carrefour un « plateau piéton », un échange une « intermodalité ». C’est clair, j’ai un train de retard. Du reste, je ne sais même pas comment on dit « train » en jargon. Je n’ai plus qu’à aller me faire voire ailleurs, autrement dit à me faire requalifier dans une zone non-aménagée.
nb : j'ai été par ailleurs fort bien reçue à Saint-Etienne, merci aux organisateurs !